Illustration du conte béninois

Le conte dans la culture béninoise

Introduction

Le conte occupe une place centrale dans la culture béninoise, où il constitue bien plus qu’un simple divertissement. Héritier d’une riche tradition orale, il sert à transmettre de génération en génération des connaissances, des valeurs et une sagesse ancestrale.

En effet, le conte est donc une mise en garde contre les travers humains. C’est un code de bonne conduite. Il est la première école des Africains (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !).

À travers des récits imaginaires, souvent didactiques, les anciens enseignent aux plus jeunes les normes sociales, la morale et l’histoire de leur communauté. Ces histoires orales, véritables trésors culturels, véhiculent des valeurs essentielles (respect, solidarité, humilité) et contribuent à forger l’identité culturelle du Bénin (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV).

Au fil du temps, malgré l’absence d’écriture, les Béninois ont su préserver ces contes et en faire un pilier de la transmission du savoir et de la cohésion sociale.

Aujourd’hui encore, face aux mutations rapides de la société, le conte continue de façonner les esprits et de relier le passé à l’avenir, témoignant de son importance inaltérable dans la culture béninoise (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV).

I. Importance du conte dans la culture béninoise

Le conte traditionnel est omniprésent dans la vie sociale béninoise et remplit plusieurs fonctions vitales. D’abord, il a une fonction éthique et éducative : par le biais de personnages et de situations symboliques, chaque histoire offre une leçon de morale. On ne ressort jamais d’un conte sans en tirer un enseignement, car ce genre oral est « une sphère d’éthique et de morale » où les personnages vertueux sont récompensés et les mauvais punis (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Les récits, souvent empreints d’humour, sont utilisés pour éduquer les enfants dès le plus jeune âge sur les valeurs à suivre et les comportements à éviter. Ils constituent ainsi « la première école » du jeune Africain, avant même l’école formelle, en lui inculquant respect des aînés, solidarité, courage, honnêteté, etc. (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). À travers les contes, l’enfant apprend à distinguer le bien du mal, et intègre les normes de sa communauté.

Ensuite, le conte joue un rôle identitaire et culturel majeur. Véhicule de la tradition, il est un moyen de préserver la mémoire collective et l’histoire du peuple. Les contes servent d’archives orales : ils « renseignent sur l’histoire du monde, des hommes et des relations entre les communautés » (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Des récits étiologiques, par exemple, expliquent l’origine de tel animal ou tel usage, ancrant ainsi les connaissances dans la mémoire commune. Au Bénin, ces histoires orales ont permis, en l’absence d’écriture dans bien des sociétés, de transmettre les événements historiques, les croyances et les coutumes à travers les siècles. En ce sens, le conte est un lien intergénérationnel fondamental : il assure la continuité entre les ancêtres et la jeunesse, consolidant l’identité collective. Comme l’exprime un adage populaire rendu célèbre par l’écrivain Amadou Hampâté Bâ, « en Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Conscients de cela, les détenteurs du savoir ont toujours eu à cœur de transmettre leurs récits pour éviter que ce patrimoine immatériel ne disparaisse. Au Bénin, on considère volontiers que le conte est « la mère de la littérature africaine » et un socle de la culture, aux côtés des chants et des danses ().

Enfin, le conte a également une fonction sociale et ludique. C’est un divertissement collectif qui resserre les liens entre membres de la communauté. Les veillées de contes rassemblent jeunes et vieux dans un moment de partage et de détente après les travaux du jour. Le plaisir d’écouter une histoire, le suspense du récit, l’identification aux personnages et la chute finale créent un sentiment d’unité et de complicité au sein de l’auditoire. Ce divertissement n’est pas vain : il possède une dimension cathartique (exutoire). Comme le souligne un auteur béninois, le conte permet d’oublier les soucis du quotidien et de s’évader un temps des difficultés de l’heure (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Il équilibre donc l’utile et l’agréable, l’enseignement et la distraction – caractéristique fondamentale de l’esthétique du conte au Bénin.

II. Thèmes récurrents des contes béninois

Les contes béninois abordent une multitude de thèmes, reflétant les préoccupations morales, sociales et cosmologiques de la société. Toutefois, certains motifs et messages reviennent de façon récurrente dans ces récits, traduisant l’universalité de certaines leçons de vie.

Un thème central est la morale et la mise en garde contre les vices humains. La plupart des contes se construisent comme de petites fables illustrant une vertu ou un défaut. Ainsi, chaque histoire « transmet une sagesse, une morale, une mise en garde » pour le public. Les travers tels que la ruse malveillante, la cupidité, la vanité, la paresse ou la désobéissance sont fréquemment dénoncés. Par exemple, de nombreux récits mettent en scène la tromperie et ses conséquences néfastes : un renard rusé qui dupe les autres finit toujours par être démasqué, ou telle tortue manipulatrice se retrouve piégée à son propre jeu. La cupidité est un autre sujet récurrent : un personnage avide de richesse ou de pouvoir apprendra à ses dépens que l’avidité conduit à la perte. De même, la jalousie et la convoitise sont souvent présentées comme des défauts à bannir, sous peine de châtiment. En filigrane, les contes promeuvent en positif les valeurs opposées : la sincérité, le partage, la modestie, le travail et l’obéissance aux règles établies.

Un motif omniprésent est celui de la transgression d’un interdit et de sa sanction. De nombreux contes reposent sur un tabou violé par imprudence ou arrogance, ce qui entraîne des conséquences dramatiques avant un éventuel retour à l’ordre. Par exemple, un conte bien connu raconte l’histoire d’une jeune fille qui, par esprit de contradiction, se met à siffler la nuit en dépit de l’interdiction de ses parents. Son acte inconsidéré a pour effet d’invoquer des esprits maléfiques, et « des bêtes féroces l’attaquent » dans l’obscurité, la mettant en grand danger. Il faudra l’intervention courageuse d’un chasseur voisin pour la sauver in extremis. Ce récit, comme tant d’autres, a une portée clairement pédagogique : il explique de façon imagée aux enfants pourquoi il ne faut pas siffler la nuit, sous peine d’attirer le mal. La leçon implicite est que la désobéissance aux aînés et la violation des interdits ne restent jamais impunies.

En miroir, les contes valorisent les vertus positives et montrent qu’elles sont toujours récompensées. Le courage, la bonté, la fidélité, la ruse positive (intelligence) ou la persévérance permettent souvent aux protagonistes de triompher des épreuves. Par exemple, la compassion envers les faibles ou la générosité peuvent apporter une aide providentielle au héros plus tard dans le récit. L’humilité est aussi une vertu mise en avant : un personnage modeste et patient finira par recevoir une récompense que l’orgueilleux et l’impatient n’auront pas. L’idée que le destin réserve un sort juste à chacun est un fil conducteur : le bien finit par vaincre le mal, et l’ordre moral est rétabli à la fin de l’histoire. Cette vision assure une fonction normative importante : elle encourage à adopter les bons comportements en montrant qu’ils mènent à la réussite ou au bonheur, tandis que les mauvais comportements mènent au malheur.

Les relations familiales et sociales constituent un autre corpus thématique notable. De nombreux contes traitent de la filialité, de la fratrie et de la parenté, parfois sur un mode conflictuel (jalousies entre coépouses, rivalités entre frères, belle-mère cruelle, etc.), parfois sur un mode harmonieux (solidarité familiale, amour maternel triomphant). Un thème fréquent est celui de l’enfant mal-aimé ou rejeté qui finit par montrer sa valeur. Par exemple, un conte fon relate l’histoire d’un prince nommé Hangnan-Hangnan-Gban, un enfant né très laid que son père, le roi, décide d’abandonner dans la forêt pour ne pas avoir à supporter cette « infamie ». Or, c’est justement cet enfant repoussé qui, plus tard, sauvera le royaume en péril, prouvant sa valeur et confondant le jugement hâtif de son père. La morale exprimée explicitement dans le récit est qu’« il n’est pas de dépotoir où l’on puisse jeter les enfants indésirables », c’est-à-dire qu’aucun parent n’a le droit de rejeter son enfant, quel qu’il soit.

Enfin, les contes béninois abordent aussi des thèmes cosmologiques et mythiques. On trouve des récits expliquant la création de certains éléments du monde (l’origine du soleil et de la lune, l’apparition de la mort chez les hommes, etc.), ou mettant en scène l’intervention de dieux et d’esprits dans le destin des humains. Par exemple, dans la tradition fon, on raconte l’origine de la carapace de la tortue ou comment la tortue a volé le feu pour le donner aux hommes. Un autre conte explique l’apparition des seins chez la femme. Ces récits merveilleux, qui relèvent du mythe ou de la légende, transmettent souvent une part de la vision du monde propre aux différentes ethnies du Bénin. Ils reflètent les croyances religieuses et offrent parfois des explications symboliques de phénomènes naturels ou sociaux.

En somme, qu’ils soient facétieux ou sérieux, les contes béninois reviennent invariablement à éclairer l’expérience humaine. Sur fond d’humour et de situations souvent fantasques, « les ancêtres expliquent avec un bon sens indiscutable que “tout ce qui brille n’est pas or”, que “le mensonge fait de l’homme un esclave” et que dans ce monde impitoyable “suivre les conseils des anciens est toujours bénéfique” ». Sous la fantaisie des récits transparaît ainsi une philosophie pratique empreinte de sagesse universelle : le respect des autres et des traditions, la prudence, la vérité et la vertu sont les meilleurs guides dans la vie quotidienne. C’est pourquoi les contes, loin d’être de simples histoires pour enfants, sont perçus comme une véritable école de la vie au Bénin.

III. Personnages typiques des contes béninois

La galerie des personnages dans les contes du Bénin est extrêmement riche et variée, reflétant la diversité de l’imaginaire africain. On y croise à la fois des êtres humains de tous rangs, des animaux parlants et des entités surnaturelles, chacun tenant un rôle significatif dans l’allégorie que constitue le conte.

Parmi les personnages humains, on retrouve fréquemment des figures archétypiques qui reviennent de conte en conte. Les rois et les reines occupent une place de choix, héritage d’une histoire locale marquée par les royaumes. Ils sont souvent présentés comme puissants mais faillibles – ainsi certains contes mettent en scène des rois « ténébreux et cruels » dont les excès sont finalement punis, ou au contraire de sages monarques guidant leur peuple. À leurs côtés figurent des princes intrépides et des princesses d’une grande beauté, dont le destin est souvent l’enjeu du récit. La figure de la princesse envoûtante ou de la jeune fille d’une beauté sans pareille est courante – elle peut être à la fois l’objet de convoitise et celle dont la vertu sera testée. Les héros des contes béninois sont souvent de jeunes hommes ou femmes humbles (orphelins, cadets de famille, simples chasseurs) qui, grâce à leur courage ou leur intelligence, triomphent de personnages plus puissants qu’eux.

Au-delà de la sphère royale ou héroïque, les contes mettent en scène des personnages du quotidien : le paysan pauvre mais astucieux, la vieille grand-mère dotée de sagesse, la marâtre envieuse, le marchand cupide, l’ivrogne, etc. Chacun sert à illustrer un trait de caractère ou une condition sociale. Les orphelins ou enfants maltraités sont aussi fréquents – ils suscitent la sympathie du public et, bien souvent, leur innocence finit par être récompensée par une intervention magique ou un retournement de situation. Par contraste, des personnages comme la belle-mère malveillante ou la coépouse jalouse incarnent les dangers venant de l’intérieur de la famille.

Les animaux personnifiés constituent un autre ensemble de protagonistes emblématiques. Comme dans beaucoup de traditions africaines, les animaux parlent et agissent comme des humains dans les fables béninoises, tout en conservant leurs caractéristiques naturelles. Ils sont utilisés pour représenter symboliquement les qualités et défauts humains. Le bestiaire des contes du Bénin est vaste, mais certains animaux reviennent fréquemment : la tortue, le léopard, le singe, le lièvre, l’araignée, l’hyène, le lion, l’éléphant, etc. Chacun a un rôle stéréotypé hérité de la sagesse populaire. La tortue, par exemple, est presque toujours l’animal rusé par excellence – souvent petite et faible physiquement, elle compense par son astuce et sa patience, jouant des tours aux plus forts. Le léopard ou le lion représentent la force brutale et l’autorité, parfois dupés par plus petit qu’eux.

Les êtres surnaturels peuplent également l’imaginaire des contes béninois. La cosmogonie locale intègre des esprits, des génies et des divinités qui apparaissent fréquemment dans les récits. On rencontre par exemple des femmes-génies, des dieux capricieux intervenant dans le destin des hommes, ou encore des féticheurs – ces prêtres ou sorciers capables de communiquer avec l’invisible et de jeter des sorts. Dans le panthéon vaudou, les contes peuvent mettre en scène des entités telles que Legba (le dieu farceur, gardien des carrefours) ou Mami Wata (l’esprit de l’eau). Les esprits de la nature abondent : génie de la forêt, esprit du fleuve, etc., que le héros doit amadouer ou combattre.

Il convient aussi de mentionner la figure du trickster (le filou) incarnée tantôt par un humain, tantôt par un animal. C’est ce personnage farceur et imprévisible, souvent égoïste mais drôle, qui dynamise de nombreux contes. Au Bénin, ce rôle est fréquemment tenu par la tortue ou le singe, voire par un jeune homme pauvre mais débrouillard. Ses ruses provoquent des péripéties cocasses et dévoilent les travers de chacun. Le trickster peut finir puni (pour servir de leçon) ou, selon les cas, apporter malgré lui une issue positive.

En somme, la palette de personnages dans les contes du Bénin reflète le monde tel que perçu par les anciens : un monde où cohabitent le quotidien et le merveilleux, où « l’homme, la faune, la flore et le surnaturel » se partagent la scène. Chaque catégorie de personnages – rois, héros, animaux, esprits – joue un rôle allégorique précis pour transmettre les leçons du récit. Cette diversité permet aux contes d’aborder tous les aspects de la vie (du plus trivial au plus mystique) et de parler à tous les publics.

L’enfant y trouvera des animaux amusants et des êtres fabuleux qui stimulent son imagination, tandis que l’adulte y décèlera des messages philosophiques plus profonds sur la nature humaine. C’est ce foisonnement de personnages typiques qui fait des contes béninois un miroir de la société et de sa vision du monde, dans toute sa complexité.

IV. Déroulement traditionnel d’une séance de contes au Bénin

Le conte béninois ne se résume pas à l’histoire racontée : il s’inscrit dans un rituel social bien précis, avec un cadre spatio-temporel et des codes de performance hérités de la tradition. Une séance de contes (souvent appelée veillée de contes) obéit généralement à un déroulement immuable, transmis de génération en génération dans les villages.

Traditionnellement, les contes se racontent le soir, jamais en plein jour. Après le labeur quotidien, lorsque la nuit est tombée et que la fraîcheur du soir s’installe, les enfants se regroupent autour des personnes âgées – grands-parents, anciens du village, parfois les griots de passage – généralement sous l’arbre à palabres ou autour du feu de bois. Cet arbre à palabres, souvent un grand fromager ou un baobab au centre du village, est l’endroit coutumier où la communauté se réunit pour discuter et transmettre le savoir.

Au début de la séance, le conteur (souvent l’ancien le plus expérimenté ou le griot invité) intronise l’histoire par une formule d’introduction rituelle. Chaque culture locale a sa formule sacramentelle pour signifier que le récit commence et capter l’attention du public. Chez les Fon du Sud-Bénin, par exemple, le conte est comparé à un oiseau qui prend son envol et se pose sur les protagonistes de l’histoire. Le conteur peut ainsi lancer une phrase conventionnelle – dans la langue locale – du type : « Mon conte s’envole et va se poser… », à laquelle l’auditoire répond en chœur pour marquer qu’il est prêt à écouter.

Le déroulement du conte en lui-même est vivant et interactif. Le narrateur peut raconter debout, assis sur un tabouret ou à même le sol, en occupant l’espace au centre du cercle formé par le public. Il module sa voix, joue des silences, et use abondamment du langage corporel : gestes des mains pour figurer les actions, expressions du visage pour mimer les émotions des personnages, etc. La performance orale s’apparente à un jeu théâtral où le conteur est à la fois narrateur et acteur. Au Bénin, il n’est pas rare qu’il s’accompagne d’un instrument de musique en sourdine – typiquement un tambour, un tam-tam, ou une calebasse percussion – pour rythmer le récit.

Les contes béninois sont fréquemment entrecoupés de chants et de proverbes. Le conteur peut insérer dans son récit une chanson en langue locale, que l’auditoire reprend en chœur. Ces chants, souvent très brefs et répétitifs, peuvent être ceux que le protagoniste du conte chante dans l’histoire et servent de refrain. Cela maintient l’attention des participants et les implique. De même, le conteur émaillera son discours de proverbes ou d’expressions imagées bien connues, qui résument en une phrase l’enseignement en cours.

Le public, lors d’une veillée de contes, n’est pas passif : il participe activement par ses réactions. Il est courant que l’auditoire ponctue le récit de réponses collectives, de rires, d’exclamations de surprise ou de commentaires murmurés. Cette interactivité est encouragée par le conteur, qui ajuste son rythme en fonction de l’attention de son public. Si l’auditoire se montre particulièrement captivé, un bon conteur prolongera le suspense, ajoutera des détails savoureux ; à l’inverse, s’il sent l’attention fléchir, il accélérera ou introduira un élément comique pour réveiller l’assemblée.

Le conte se termine enfin par une formule de clôture traditionnelle. Chaque culture a ses expressions pour signifier la fin du récit et le retour au monde réel. Parfois, la fin du conte est soulignée par un dernier proverbe-morale qui résume l’enseignement principal de l’histoire, ou par une note d’humour pour détendre l’atmosphère si le récit était effrayant. L’auditoire manifeste alors son appréciation par des applaudissements, des remerciements au conteur, et chacun retourne à ses pénates le cœur léger ou pensif, selon l’histoire entendue.

Il faut souligner que ce déroulement traditionnel d’une veillée de contes – le cadre nocturne, la formule d’introduction, la narration interactive, la formule finale – s’observait couramment dans les villages béninois il y a encore quelques décennies. Ce modèle tend à se raréfier, notamment en milieu urbain, mais il demeure vivant dans les zones rurales et refait surface lors d’événements culturels dédiés. Il reste en tout cas la référence, l’idéal typique de la transmission orale au Bénin.

V. Le rôle du conteur dans la culture béninoise et son influence sociale

Le conteur (gbètu en fon, griot dans le terme ouest-africain générique) occupe une place éminente dans la société béninoise traditionnelle. C’est à la fois un artiste, un éducateur et un gardien de la mémoire collective. Son rôle dépasse la simple narration d’histoires : il est un passeur de culture et un leader d’opinion respecté.

Traditionnellement, le conteur béninois est souvent une personne âgée du clan – un grand-père ou une grand-mère rompu à l’art du récit – ou un griot itinérant qui voyage de village en village. Les griots, figures emblématiques de l’Afrique de l’Ouest, étaient des troubadours et historiens ambulants. Dépositaires d’un savoir ancien, ces conteurs jouissent d’un grand prestige. Ils connaissent l’histoire du groupe, les généalogies, les mythes fondateurs, et les fables à morale ; à ce titre, ils sont considérés comme des bibliothèques vivantes. Lors des veillées, c’est vers eux que tous les regards se tournent, et ils endossent le rôle du chef de séance, modulant la parole et orchestrant l’interaction.

Le conteur a avant tout une mission de transmission. Il assure la pérennité de la tradition orale. Sa responsabilité sociale est immense : s’il ne raconte pas les histoires, celles-ci risquent de se perdre à jamais. Cette éthique du conteur illustre bien son rôle de passeur de mémoire. Dans les sociétés béninoises, le conteur joue donc un rôle de médiateur entre les générations – il connecte le savoir des anciens avec l’oreille des jeunes. Son influence sociale est considérable car il contribue à former les mentalités. Par le biais des histoires qu’il choisit de raconter et de la manière dont il les raconte, il peut mettre l’accent sur telle norme sociale, critiquer indirectement tel comportement, valoriser telle valeur. En ce sens, le conteur est un éducateur informel mais efficace, un vecteur de socialisation.

En plus d’être éducateur, le conteur est souvent un conseiller et un moralisateur au sein de la communauté. À travers un conte ingénieux, il peut faire passer un message à un membre du groupe sans le heurter directement. Par exemple, si un chef commet une injustice, le conteur pourrait raconter subtilement l’histoire d’un roi injuste qui fut puni par les dieux, faisant ainsi réfléchir l’audience – y compris le chef – sur l’immoralité de l’injustice. Le conteur influence ainsi la vie sociale par l’allégorie et la parabole. Ses contes offrent des leçons de philosophie pratique qui aident à résoudre symboliquement des conflits ou des dilemmes réels.

Par ailleurs, le conteur joue un rôle de divertissement et de cohésion. C’est un artiste, parfois comédien, parfois musicien, qui sait captiver un public. Son influence tient beaucoup à son talent oratoire – un mélange d’éloquence, de charisme et de pédagogie. Au Bénin, ceux qui excellent dans l’art du conte peuvent acquérir une véritable renommée locale. Ils sont invités aux cérémonies, aux festivals, et aujourd’hui dans les médias, pour partager leurs récits. De nos jours, on trouve des conteurs professionnels qui perpétuent la fonction traditionnelle tout en l’adaptant au public moderne.

Il faut noter que la fonction de conteur est ouverte à tous dans la sphère familiale. Un dicton moderne rappelle que « le père à la maison est un conteur, la mère est une conteuse ». Autrement dit, chaque parent a la responsabilité de raconter des histoires à ses enfants pour prolonger la chaîne de transmission. Ainsi, au quotidien, de nombreux anonymes endossent le rôle de conteur auprès de leur entourage. Cette diffusion large du rôle explique que les contes restent vivants : ils ne sont pas confinés à une caste, chacun peut s’en emparer.

Le prestige du conteur se manifeste lors des événements dédiés où les meilleurs se distinguent. Par exemple, lors de la Nuit des Contes (un festival annuel), des conteurs professionnels et amateurs montent sur scène. Ils sont évalués et acclamés pour leur art oratoire, leur créativité et leur capacité à faire vivre les histoires. Les meilleurs d’entre eux deviennent des ambassadeurs culturels du Bénin, amenés parfois à se produire à l’étranger ou à former de plus jeunes conteurs. Ils démontrent que le conteur d’aujourd’hui continue d’occuper un rôle social : il sensibilise aux enjeux culturels, il innove pour intéresser les nouvelles générations, et il rappelle aux familles l’importance de raconter des histoires aux enfants.

En résumé, le conteur béninois est un pilier de la société traditionnelle : dépositaire du patrimoine immatériel, éducateur des masses, commentateur social et artiste du verbe. Son influence sociale s’est exercée de manière diffuse mais profonde, en inculquant valeurs et identité aux générations successives. Bien que concurrencé aujourd’hui par les médias modernes, il demeure une figure respectée et écoutée – un « gardien du temple » culturel qui maintient vivante la flamme des ancêtres. L’évolution contemporaine a transformé son rôle, mais son essence reste la même : user du pouvoir des histoires pour éclairer, réunir et émouvoir sa communauté.

VI. Structure typique d’un conte béninois

Malgré la diversité des sujets et des personnages, les contes béninois partagent généralement une structure narrative classique et récurrente. Cette structure, à la fois souple et codifiée, facilite la mémorisation et garantit l’efficacité du message moral. On peut résumer la trame type d’un conte béninois en plusieurs étapes :

1. Situation initiale

Le conte débute par la présentation du contexte et des personnages principaux, souvent à travers la formule d’introduction traditionnelle. On plante le décor : « Il était une fois, dans tel village… » ou « Mon conte va vous parler de… ». Cette situation initiale est généralement stable et neutre : on décrit par exemple une famille heureuse, un roi puissant, un animal qui vit paisiblement, etc. Elle permet d’ancrer l’histoire dans un cadre spatio-temporel (même s’il est fictif ou imprécis) et d’introduire le protagoniste.

Exemple : « Un chasseur vivait avec sa femme dans un petit village au bord de la forêt… » constitue une situation initiale typique.

Souvent, un élément d’information annonciateur du thème peut être glissé (le chasseur est pauvre, ou la femme est stérile, etc., ce qui préfigure le nœud du récit).

2. Élément perturbateur

C’est l’événement qui vient troubler la situation initiale et lancer véritablement l’intrigue. Il survient tôt dans le conte. Il peut s’agir de :

Exemples :

Ce moment rompt l’équilibre initial et crée une tension dramatique : il y a un enjeu, une question à laquelle le reste du récit devra répondre (comment rétablir la situation ?).

3. Péripéties

Ce sont les développements du récit, les aventures et mésaventures qui adviennent suite à la perturbation. Dans les contes béninois, les péripéties peuvent être nombreuses et inclure des rebondissements variés : voyages, rencontres d’alliés ou d’opposants, ruses déployées, épreuves successives (souvent au nombre de trois dans de nombreux contes, par un rythme ternaire classique). Par exemple, un héros devant vaincre un génie passera par trois épreuves successives (réussir à le piéger, à le combattre, à détruire son talisman).

La ruse et la sagesse du héros ou du protagoniste sont souvent mises à l’épreuve dans ces péripéties : comment va-t-il surmonter la difficulté ? C’est ici que l’on voit l’ingéniosité des petits animaux face aux gros, ou la détermination du jeune héros face aux obstacles.

Les péripéties incluent aussi les éventuelles interventions du merveilleux : l’apparition d’un esprit qui aide le héros, l’obtention d’un objet magique, etc. Elles constituent la partie la plus divertissante du conte, pleine d’action et de suspens, mais portent toutes en germe la démonstration du propos moral (chaque action du personnage aura une conséquence conforme à son mérite ou à son tort).

4. Dénouement

C’est la résolution de l’intrigue, le moment où l’équilibre est rétabli (ou un nouvel équilibre est instauré). Dans les contes béninois à visée morale, le dénouement est presque toujours juste et satisfaisant : le problème initial est résolu de manière équitable. Le héros triomphe, le méchant est vaincu, l’ordre moral est restauré.

Par exemple, le héros réussit l’épreuve et épouse la princesse, l’enfant abandonné devient roi à la place de son père indigne, l’animal rusé est finalement attrapé ou puni par plus malin que lui. Si le conte mettait en scène une faute (mensonge, trahison, orgueil…), le dénouement apporte la sanction ou la rédemption. C’est l’application narrative du principe de justice : tel péché, telle punition ou telle vertu, telle récompense.

Ainsi, un conte se termine souvent par le succès du protagoniste vertueux et la défaite (parfois humiliante) de l’antagoniste vicieux. Ce dénouement a valeur d’exemple, montrant concrètement que la morale est respectée.

5. Situation Finale et Morale

Après le dénouement vient la conclusion proprement dite. On peut brièvement décrire la situation finale (le royaume retrouve la paix, le couple vit heureux, etc.), souvent en miroir de la situation initiale mais en mieux. La conclusion explicite ensuite la morale du conte.

Dans la tradition orale, la morale est parfois implicite – le public la comprend de lui-même – ou bien elle est formulée sous forme de proverbe. Nombre de contes béninois se terminent sur un dicton ou une phrase concise qui résume l’enseignement. Par exemple : « On récolte le soir ce qu’on a semé le matin » (Contes et légendes du Bénin), pour signifier que nos actions nous reviennent tôt ou tard (morale d’un conte sur la justice immanente) ; ou « Tel est pris qui croyait prendre », pour conclure une histoire de trompeur trompé.

Dans certains recueils écrits, la morale peut être laissée « habilement en suspens » pour faire réfléchir le lecteur (La femme panthère et autres contes du Bénin - Gallimard Jeunesse), mais à l’oral, le conteur traditionnel aime souvent ponctuer lui-même son récit d’une sentence finale qui frappe les esprits. Cette morale finale, c’est le message clé que le conte voulait transmettre.

Elle peut être plurielle dans un même récit (plusieurs leçons), mais généralement une idée forte se dégage, illustrée par le parcours des personnages. Une caractéristique notable : la morale est presque toujours positive ou normative, jamais amorale. Même si certains contes peuvent finir tragiquement (par exemple, un personnage meurt de sa bêtise), c’est pour affirmer une norme (la bêtise conduit à la perte, donc il ne faut pas être bête). Ainsi, au-delà du dénouement du récit, « il y a là la sagesse universelle et intemporelle des anciens et leurs réponses à tous les doutes de l’âme humaine » (Contes et légendes du Bénin).

Cette structure narrative, comparable à celle du conte occidental dans les grandes lignes, se colore toutefois de spécificités locales. L’introduction et la conclusion comportent des formules propres aux langues et cultures béninoises (comme vu plus haut).

Les péripéties intègrent souvent des éléments distinctifs : chansons, danses, interventions du narrateur. De plus, les règles de temps et d’espace dans le conte africain sont fluides : l’histoire peut se dérouler dans un temps mythique (« il y a très longtemps ») et un espace générique (« dans un village »), ce qui confère une portée universelle au récit.

Le schéma actanciel (héros – quête – opposants – adjuvants) est généralement simple et clair, afin que l’auditoire identifie bien les rôles. Enfin, la structure dialectique du conte africain a été soulignée par les analystes : il présente souvent deux faces d’une réalité (bien/mal, faible/fort, humble/orgueilleux) pour mieux les confronter et les dépasser dans la conclusion.

Le récit est ainsi construit de manière presque argumentée, emportant l’adhésion du public à la morale par la logique même de l’histoire.

Illustrons brièvement avec un conte béninois type :

La ruse de Golo (le singe) et la vengeance de Yéyi (la tortue)

Situation initiale

Golo le singe et Yéyi la tortue sont amis, mais Golo est vantard.

Élément perturbateur

Golo vole la nourriture de Yéyi en se moquant de sa lenteur.

Péripéties

Yéyi met en place des stratagèmes successifs pour donner une leçon à Golo :

Dénouement

Golo est pris au piège et ridiculisé devant les autres animaux.

Situation finale

Yéyi récupère sa nourriture et Golo, penaud, promet de ne plus jamais tromper personne.

Morale

« Telle ruse, tel revers » ou « Qui se moque des autres finira bien par être moqué ».

Structure et analyse

Ce schéma simple, agrémenté de dialogues drôles et de chansons (le singe chantant de joie quand il pense avoir dupé la tortue, puis la tortue chantant sa revanche), correspond à l’attente du public.

Le déroulement est limpide, la tension monte progressivement et la chute offre une conclusion satisfaisante.

La morale est évidente et immédiatement applicable à la vie sociale : ne pas se moquer des plus faibles.

On voit par cet exemple que la structure du conte béninois est fortement téléguidée par la visée morale : chaque segment narratif y contribue.

Enfin, au-delà du cadre d’un seul conte, il convient de noter que les conteurs béninois possèdent un vaste répertoire et savent adapter la structure en fonction de l’auditoire ou du contexte. Ils peuvent enchaîner plusieurs contes lors d’une veillée, alternant registres et longueurs (des contes brefs tenant en quelques minutes, et des récits-fleuves épiques plus longs). Toutefois, que le conte dure 5 minutes ou 1 heure, il respectera en essence la même architecture interne, gage d’une bonne compréhension et rétention par le public. C’est cette structure typique, éprouvée par le temps, qui fait du conte un outil de transmission efficace et plaisant à la fois.

VII. Transmission du conte aux nouvelles générations et initiatives de préservation

La transmission des contes au Bénin s’est longtemps faite de manière informelle et familiale, « de bouche à l’oreille et de génération en génération » (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Cependant, les évolutions socio-économiques (urbanisation, scolarisation, exode rural) ont fragilisé ce mode de transmission naturel. Les jeunes générations, attirées par la ville et les modes de vie modernes, sont moins exposées qu’avant aux veillées traditionnelles.

De plus, l’écart linguistique peut jouer : beaucoup de jeunes citadins parlent davantage français que langue maternelle, ce qui peut constituer un frein pour apprécier des contes souvent racontés en fon, en yoruba, en bariba, etc. La rupture de transmission est devenue une préoccupation majeure : « les jeunes ont pris d’assaut les villes et les vieillards ne trouvent plus à qui transmettre les savoirs dont ils sont détenteurs » note-t-on avec inquiétude (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Quand le dernier détenteur d’un conte meurt sans l’avoir raconté, c’est un morceau de patrimoine qui disparaît irrémédiablement.

Ce constat a motivé, depuis quelques décennies, de nombreuses initiatives pour préserver et revitaliser le conte au Bénin.

Dès la fin des années 1990, des acteurs culturels et des institutions se sont mobilisés pour sauvegarder l’héritage oral en péril. Une initiative pionnière fut la fondation en 1998 de l’association Mémoires d’Afrique – Bénin, avec pour objectif explicite de collecter, conserver et promouvoir les contes et légendes du pays (Contes et légendes du Bénin).

Sous l’impulsion de son président fondateur, le Père Israël Mensah, Mémoires d’Afrique lança en 1999 un grand concours national de collecte de contes. Des milliers de jeunes Béninois, armés de dictaphones et de carnets, partirent dans les villages recueillir auprès des anciens tous les récits possibles, conscients que c’était peut-être la dernière chance de les noter (Contes et légendes du Bénin).

L’opération fut un succès retentissant : plus de 1500 contes furent récoltés à travers le pays (Contes et légendes du Bénin). Un panel en sélectionna 24, qui furent retranscrits et publiés dans un ouvrage intitulé Contes et légendes du Bénin (éd. Karthala, 2002). Ce livre n’était que « l’infime reflet » de la richesse collectée, mais il marqua une première étape importante : fixer par écrit la tradition orale pour mieux la diffuser au-delà du cercle familial ou villageois, et la mettre à la disposition de ceux qui n’y avaient plus accès.

Selon Israël Mensah, il ne s’agissait pas de figer le passé par nostalgie, mais de puiser dans ce patrimoine pour éclairer le présent et l’avenir, car « mémoires et avenir […] s’épaulent » (Contes et légendes du Bénin).

Cette action fondatrice a permis de documenter le patrimoine oral et de sensibiliser le grand public béninois à l’importance de ses contes. Elle a en outre renforcé le lien entre les jeunes (collecteurs et lecteurs) et les anciens (conteurs sources).

D’autres associations ont vu le jour pour poursuivre cet élan. Citons par exemple Katoulati, une association culturelle qui opère au nord du Bénin. Après avoir collecté 500 contes dans la région de Natitingou, Katoulati en a édité 30 dans un recueil bilingue intitulé « Xo lomi lomi, contes utiles, bons à dire et à entendre » (2013). Ce livre a été diffusé gratuitement dans 78 écoles de 7 départements du pays, signe d’une volonté de faire entrer le conte dans la sphère éducative formelle.

Comme l’indique le titre de l’ouvrage, le conte y est perçu comme « porteur de mémoire, d’enseignements et de codes de comportement », et non comme un simple divertissement – dimension que le public béninois exige de retrouver dans ces histoires.

Par ailleurs, face à la méconnaissance de l’histoire nationale par les jeunes, certains conteurs ont entrepris de transmettre l’Histoire à travers le conte. Katoulati a ainsi créé en 2014 un spectacle appelé « Danxomè-Xo » (littéralement « Histoires du Dahomey » en fon) : une fresque historique narrée sous forme de contes émaillés de proverbes, chants et danses, retraçant l’histoire du royaume du Dahomey. Ce spectacle a tourné au Bénin et dans des pays voisins, rencontrant un franc succès et prouvant que le conte pouvait servir aussi de véhicule à la connaissance historique.

Dans la même veine, en 2022, trois conteuses béninoises ont monté une pièce intitulée « Les Amazones du Dahomey » mêlant conte, musique et danse, pour proposer leur propre version de l’épopée des guerrières amazones, en réaction au film hollywoodien qui en avait donné une vision édulcorée.

Ces initiatives innovantes montrent comment le conte peut être utilisé pour réapproprier l’histoire et la culture nationales, en y insufflant fierté et authenticité.

Un aspect important de la préservation est la formation de nouveaux conteurs. Conscients que la transmission ne pourra perdurer qu’en formant la relève, des projets de formation ont été mis en place. Au Bénin, des ateliers contes pour les jeunes ont émergé.

Par exemple, pendant 7 ans, des enfants ont été formés au conte par des conteurs professionnels, à raison de 3h par semaine, dans le cadre de « caravanes d’enfants conteurs » sillonnant le Bénin et d’autres pays francophones. L’opération a abouti, créant une nouvelle génération de conteurs précoces.

De même, le festival « Paroles d’Amazones », lancé en 2021, vise à encourager les femmes conteuses en leur offrant une plateforme d’expression et de formation (stage d’écriture, coaching scénique) sur plusieurs années.

L’idée générale est de moderniser l’image du conteur et de montrer que les jeunes, et en particulier les jeunes femmes, peuvent s’approprier cet art.

Plusieurs événements annuels ont été institués pour garder vivante la tradition orale. La plus emblématique est sans doute la Nuit des Contes, organisée par Mémoires d’Afrique chaque année depuis 2006 (20 ans d’existence en 2018).

Chaque 14 août (veille de la fête nationale du 15 août au Bénin), dans de nombreuses localités du pays, des veillées de contes sont tenues simultanément pour célébrer le patrimoine oral. Lors de la 18ᵉ édition en 2022, l’événement s’est déroulé dans 16 communes couvrant les 12 départements du Bénin, signe de sa portée nationale.

La Nuit des Contes se veut une recréation de l’atmosphère des veillées d’antan, mais sous une forme festive et ouverte à un large public. Conteurs professionnels, amateurs et même néophytes se relaient pour narrer des histoires toute la soirée. Des concours locaux sont parfois organisés en amont pour sélectionner les meilleurs talents de chaque région, qui iront se produire lors de la nuit nationale.

Cette initiative a permis de remettre au goût du jour l’écoute des contes chez les jeunes urbains, qui viennent nombreux assister à ces soirées inédites où le patrimoine oral reprend vie sous les étoiles.

Le succès de la Nuit des Contes a également encouragé l’État à combiner cet événement avec la Journée Nationale du Patrimoine Culturel Immatériel (JNPCI), célébrée aussi le 14 août depuis 2006. Ainsi, contes, chants et danses traditionnelles sont mis à l’honneur officiellement ce jour-là, témoignant d’une reconnaissance institutionnelle de leur importance.

Les médias locaux couvrent ces événements, donnant un écho supplémentaire à la promotion des contes.

En parallèle, des organisations culturelles et des centres artistiques multiplient les projets : festivals de contes, ateliers en milieu scolaire, caravanes culturelles itinérantes.

On peut mentionner le Festival International de Théâtre et de Conte d’Abomey (FITHéCA), qui mêle arts dramatiques et tradition orale, ou encore le festival Holi dans le nord du Bénin.

Des médiathèques organisent des heures du conte en français et en langues locales pour les enfants des villes. L’Institut Français du Bénin, par exemple, propose régulièrement des séances de contes pour le jeune public dans ses locaux, animées par des conteurs béninois.

Ces efforts visent à institutionnaliser un peu la transmission du conte pour pallier la disparition du cadre familial de transmission.

Le système éducatif lui-même commence à intégrer le conte comme outil pédagogique (voir section suivante), ce qui contribue à sa diffusion aux nouvelles générations.

Enfin, l’essor du numérique a ouvert de nouvelles opportunités de préservation : collectes numérisées, archives en ligne, enregistrements audio/vidéo des conteurs, etc., permettent de sauvegarder la voix des anciens et de la rendre accessible aux jeunes via internet.

Des plateformes et projets digitaux – comme Digital Benin – documentent les histoires et les rendent disponibles en quelques clics, là où autrefois il fallait aller s’asseoir au village pour les entendre. (Documentation on Interactive Oral History Videos ... - Digital Benin).

Malgré tout, la transmission du conte aux nouvelles générations reste un défi constant. Mais grâce à ces multiples initiatives – collectes, publications, festivals, ateliers – on observe depuis une vingtaine d’années un regain d’intérêt pour le conte au Bénin.

Une véritable communauté de conteurs s’est structurée : une Fédération, FéBéCAO (Fédération Béninoise du Conte et des Arts de l’Oralité), regroupe aujourd’hui une douzaine d’associations actives dans le domaine.

Le relais semble donc progressivement assuré entre les anciens détenteurs de la tradition et une jeunesse urbaine reconnectée à cet art ancestral, quoique sous des formes parfois renouvelées.

VIII. Le conte dans l’éducation béninoise : rôle pédagogique

Le conte, en plus d’être un divertissement et un vecteur de transmission culturelle, possède une puissante dimension pédagogique. Au Bénin, on dit souvent que le conte est la « première école » de l’enfant africain (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !).

Bien avant l’entrée à l’école formelle, le petit Béninois s’imbibe des contes racontés par ses aînés, apprenant ainsi des notions essentielles qui lui serviront toute sa vie.

Cette fonction éducative du conte a longtemps été informelle, mais elle est de plus en plus reconnue et exploitée dans le système éducatif contemporain.

Dans le cadre traditionnel, le conte était la méthode pédagogique privilégiée pour enseigner aux enfants : les valeurs morales bien sûr (comme détaillé précédemment), mais aussi des connaissances pratiques, l’histoire du groupe, la langue et la rhétorique. On a pu qualifier le conte de « code de bonne conduite » et de véritable école de la vie (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !).

Les enfants, en écoutant les récits, développaient leur mémoire (car on leur demandait parfois de réexprimer l’histoire), leur compréhension narrative, leur vocabulaire et même leur esprit critique (déchiffrer la morale, poser des questions). Le conte offre en effet un espace d’apprentissage global :

Des ethnopédagogues béninois ont souligné que « le conte rapproche l’enfant de son environnement » en lui faisant intégrer les réalités de sa culture, ce qui le prépare pour sa réussite scolaire future (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !).

Un enfant qui connaît les contes de son pays assimile plus facilement l’histoire et la culture générale, et développe des facilités d’expression et de compréhension (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). On considère donc que les veillées de contes contribuaient grandement à l’éveil intellectuel et à l’éducation civique des plus jeunes.

Aujourd’hui, face aux défis du système éducatif (classes surchargées, prédominance de l’apprentissage par cœur, etc.), le conte apparaît comme un outil pédagogique attractif et efficace qu’il convient de mobiliser.

Les enseignants et pédagogues béninois montrent un intérêt croissant pour l’intégration du conte dans l’enseignement. Par exemple, lors des cours de français au primaire, les instituteurs utilisent fréquemment des contes (africains ou occidentaux) pour travailler la compréhension de texte, l’expression orale et la morale.

Mais au-delà des cours de langue, le conte peut servir dans l’éducation civique et morale pour introduire un débat sur une valeur (un conte sur l’honnêteté pour parler de l’intégrité, etc.).

De même, en histoire-géographie, narrer un ancien conte historique du royaume d’Abomey peut capter l’attention mieux qu’un exposé magistral.

Il existe des programmes ou manuels qui encouragent « l’heure du conte » à l’école, bien que celle-ci soit parfois négligée faute de temps (Education Artistique dans les écoles : L'heure du conte souvent ...).

Des ONG et associations proposent des ateliers contes dans les écoles primaires et secondaires, avec l’accord du Ministère de l’Éducation. Ces interventions permettent de réintroduire l’oralité dans la classe, de stimuler la participation des élèves différemment.

On constate que les enfants y prennent beaucoup de plaisir et intègrent plus aisément les notions abordées. Le conte devient un support pédagogique multidisciplinaire : un conte mathématique peut aider à apprendre à compter (certains contes intègrent des énigmes numériques), un conte écologique peut sensibiliser à la protection de la nature, etc.

Plusieurs initiatives exemplaires méritent d’être citées. L’association Mémoires d’Afrique a mis en place dans certaines écoles primaires des clubs de contes, où les élèves apprennent à raconter à leur tour, développant ainsi confiance en soi et compétences orales. Il y a également eu des expérimentations de conte bilingue en classe : le conteur raconte en langue locale, puis le professeur fait reformuler en français par les élèves, ce qui renforce le bilinguisme et la traduction. Dans les maternelles, les contes (surtout sous forme d’histoires courtes avec marionnettes) sont utilisés pour l’éveil des tout-petits. Les résultats sont généralement positifs : amélioration de l’attention, de la créativité, diminution de l’indiscipline (car les élèves sont captivés par l’histoire et respectent le conteur).

Au-delà du cadre scolaire, le conte a un rôle pédagogique communautaire. Des contes sont utilisés dans des campagnes de sensibilisation, par exemple en santé publique. Un projet dans le nord du Bénin a ainsi mobilisé des conteurs locaux pour parler de la malaria ou de l’assainissement, via des petites histoires mettant en scène des villageois, afin de faire passer les messages d’hygiène. L’impact est souvent meilleur qu’une simple brochure, car la population retient l’histoire et la répète. Le conte sert aussi en éducation religieuse ou spirituelle : les catéchistes ou prêtres intègrent des contes (africains ou bibliques) dans leurs sermons pour mieux faire comprendre les paraboles bibliques, établissant ainsi un pont entre tradition chrétienne et tradition orale africaine.

Notons également le travail académique mené sur la philosophie contenue dans les contes. Des chercheurs béninois ont étudié comment les contes peuvent initier les élèves à la réflexion philosophique dès le plus jeune âge. En effet, un conte soulève souvent des questions existentielles (sur la justice, la destinée, la mort, la sagesse). Travailler ces contes en classe permet de développer l’esprit critique et la discussion argumentée chez les adolescents, dans l’esprit des cafés-philo adaptés aux plus jeunes (Pédagogie et didactique de la philosophie des contes en régime d ...).

Cependant, malgré ces atouts, l’intégration du conte dans l’éducation formelle rencontre des obstacles : certains enseignants n’y sont pas formés ou pensent à tort que c’est une perte de temps par rapport au programme ; la priorité aux examens pousse à négliger ces activités jugées « ludiques ». Un article de presse notait que « l’heure du conte [est] souvent sacrifiée » dans les écoles béninoises faute de soutien institutionnel (Education Artistique dans les écoles : L'heure du conte souvent ...). Heureusement, les mentalités évoluent et les décideurs commencent à voir l’intérêt de valoriser ce patrimoine dans l’éducation. Le ministère de la Culture collabore avec celui de l’Éducation pour introduire des contenus sur les contes dans les manuels, et former des enseignants à l’animation d’ateliers d’oralité.

En définitive, le conte béninois demeure un outil pédagogique de premier plan, qu’il soit transmis à la maison ou exploité à l’école. Il représente une façon d’apprendre en s’amusant, alignée avec la pédagogie active moderne. Comme l’écrit un pédagogue local : « Le conte participe à l’épanouissement et au développement de l’intelligence de l’enfant », tout en le distrayant (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !) (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Dans un pays où la réussite scolaire reste un défi pour beaucoup d’enfants, mobiliser le pouvoir éducatif du conte – ancré dans leur culture – est une stratégie prometteuse pour rendre les apprentissages plus concrets et plus attractifs.

IX. Évolution du conte béninois face à la modernité et intégration dans les médias/festivals

À l’ère de la modernité et de la globalisation, le conte béninois a dû s’adapter pour survivre et continuer de prospérer. Si le mode de transmission traditionnel a été ébranlé (comme nous l’avons vu), de nouvelles formes d’expression et de diffusion du conte ont émergé, tirant parti des médias contemporains et des événements culturels.

Le conte béninois n’est pas resté figé dans les villages : il s’est invité à la radio, à la télévision, sur les scènes de festival et même sur Internet, trouvant ainsi un second souffle et touchant de nouveaux publics.

L’un des changements notables est l’entrée du conte dans les médias audiovisuels. Dès les années 1960-70, la radio nationale du Bénin (ORTB) diffusait des émissions en langues locales où des contes étaient narrés. Beaucoup d’adultes d’aujourd’hui se souviennent avoir écouté des contes à la radio le soir, contés par des voix célèbres. Ces émissions permettaient de prolonger la tradition orale via la nouvelle technologie de l’époque, et d’atteindre y compris ceux qui n’avaient plus la chance d’avoir un conteur chez eux. À la télévision, des programmes pour enfants intégraient également des contes (racontés en français, souvent sous forme de dessins animés inspirés de contes africains). Cependant, depuis les années 2000, la concurrence des écrans (télévision, mais surtout jeux vidéo, smartphones, Internet) a constitué un défi sérieux : face à des divertissements numériques très attractifs, les contes risquaient de paraître désuets. « Dans un monde où les écrans et les jeux vidéo prédominent, la transmission orale se trouve menacée » note-t-on, inquiets, au Bénin (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). Les jeunes préfèrent parfois regarder des dessins animés occidentaux ou jouer sur console plutôt que d’écouter les histoires de grand-mère.

Pour relever ce défi, les conteurs béninois ont fait preuve d’une grande créativité en adaptant le conte aux nouveaux formats artistiques et numériques. Une approche a été de combiner le conte avec d’autres arts scéniques pour le rendre plus attrayant visuellement. Par exemple, certains « contes-spectacles » intègrent du théâtre de marionnettes, ce qui fascine les enfants habitués aux dessins animés (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). Le conteur Ronnie Medegan explique : « Nous adaptons ces récits en théâtre de marionnettes, ce qui attire particulièrement les enfants habitués aux dessins animés » (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). De même, des conteurs se sont alliés avec des troupes de théâtre et de danse pour proposer des pièces inspirées de contes (comme le spectacle sur les Amazones cité plus haut, ou d’autres combinant conte et danse contemporaine). Cette hybridation permet de présenter le conte sous une forme plus spectaculaire, propre à capter l’attention du public moderne.

Les festivals de conte ont fleuri, devenant des rendez-vous importants de la scène culturelle béninoise. Outre la Nuit des Contes (largement évoquée), on peut mentionner le festival « Conte, Raconte » ou le festival Kaïtal (mixte des arts oraux) qui ont lieu dans certaines villes. Ces festivals offrent une scène aux conteurs, jeunes et vieux, et attirent un public divers (non plus seulement les villageois d’une même communauté, mais des spectateurs qui viennent exprès, parfois de l’étranger). Par exemple, lors du festival organisé à Cotonou en 2018 en l’honneur du conte, plus de 30 communautés ont participé et des milliers de personnes se sont rassemblées sur les places publiques pour écouter des récits pendant deux nuits consécutives (UN FESTIVAL REND HOMMAGE À L’HÉRITAGE BÉNINOIS DES CONTES - Africa Defense Forum). L’atmosphère y était électrique, prouvant que le conte peut encore fédérer les foules à l’ère moderne. Des élèves de lycée, comme Mélissa Djimadja, ont découvert à ces occasions la signification de tabous ancestraux qu’on leur avait transmis sans explication – « On m’avait toujours dit de ne jamais siffler la nuit… Maintenant je sais pourquoi » confiait-elle après avoir entendu le conte de la fille qui sifflait la nuit (UN FESTIVAL REND HOMMAGE À L’HÉRITAGE BÉNINOIS DES CONTES - Africa Defense Forum). Ceci montre que le conte, présenté dans un cadre festivalier attrayant, peut rééduquer culturellement des jeunes citadins qui avaient perdu le lien avec ces histoires.

(File:Conte,Raconte 2.jpg - Wikimedia Commons) Figure 2: Spectacle de conte modernisé lors du Festival Mixte des Arts de Ouaké. Sur scène, un conteur béninois en tenue traditionnelle (à droite, micro à la main) interprète un récit, accompagné de musiciens et d’acteurs symbolisant les personnages. Le décor et la mise en scène (fond arborant le mot “Kaafala” signifiant “conte” en langue locale) illustrent la volonté d’intégrer le conte dans une forme théâtralisée pour le public contemporain (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV) (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). (Photographie : Amouyewafrejus, Wiki Loves Folklore 2021)

La numérisation du conte est un phénomène plus récent mais en pleine expansion. Conscients que les jeunes sont sur Internet, les conteurs et promoteurs culturels investissent le web pour y diffuser les contes. On voit émerger des chaînes YouTube ou des pages Facebook dédiées aux contes africains. Par exemple, la conteuse béninoise Odile Gandonou (personnage fictif pour l’exemple) poste régulièrement des vidéos d’elle racontant en français et en fon des histoires traditionnelles, récoltant des milliers de vues et des commentaires de Béninois du monde entier ravis d’entendre ces récits de leur enfance en ligne. De même, des podcasts de contes en langue locale commencent à apparaître, ce qui permet une écoute à la demande. L’association Mémoires d’Afrique a numérisé une partie de sa collection de contes collectés : ils sont consultables sous forme de textes et d’enregistrements audio sur son site. Par ailleurs, on assiste à la naissance de livres audio et de CD de contes, racontés par des voix connues. Ces supports modernes offrent une nouvelle vie aux histoires anciennes et les rendent accessibles au-delà des cercles traditionnels.

Dans les médias classiques, le conte trouve aussi sa place. La radio nationale béninoise a relancé dans les années 2010 une émission hebdomadaire de contes en langue locale, avec des conteurs invités. À la télévision, on a vu apparaître des programmes éducatifs où un conte est animé, ou encore des interventions de conteurs sur les plateaux lors de journées culturelles. Certains contes ont même été adaptés en bandes dessinées ou en livres illustrés jeunesse (par exemple La femme panthère et autres contes du Bénin, recueil illustré destiné aux enfants). Cela permet de toucher les jeunes lecteurs et de figer par écrit un patrimoine qui était purement oral. Bien sûr, l’adaptation en écrit modifie un peu la nature du conte (perte de la voix du conteur, textualisation), mais c’est un compromis pour la sauvegarde.

Sur le plan stylistique, la modernité inspire aussi de nouveaux contes ou une actualisation des anciens. On voit des conteurs créer des histoires ancrées dans la réalité contemporaine : par exemple, un conte sur un personnage trop obnubilé par son téléphone portable, ou sur la migration vers l’Europe, etc., toujours traités de manière métaphorique mais parlant explicitement aux auditeurs d’aujourd’hui. L’association Katoulati mentionnait que les conteurs actuels « disent les contes reçus oralement dans leur communauté, lus dans des recueils ou collectés à travers le pays afin qu’ils ne se perdent pas » (), mais ils peuvent aussi en inventer de nouveaux à partir de ces matériaux, pour que le conte reste un genre vivant. Il y a donc une part de création continue.

Toutes ces évolutions ont un double effet. D’une part, elles renforcent la portée du conte en le faisant connaître à un plus large public, en l’intégrant dans la culture “mainstream”. Le conte n’est plus seulement l’affaire des villages isolés : il a sa place dans la programmation culturelle nationale, aux côtés du théâtre, du cinéma, de la musique. D’autre part, elles transforment quelque peu la nature du conte : en passant de l’oral pur à la scène ou à l’écran, le conte subit des ajustements (on raccourcit souvent le texte pour tenir en format vidéo court, on ajoute des effets visuels, etc.). Certains puristes pourraient craindre une dénaturation, mais la plupart des acteurs insistent sur la fidélité à l’esprit traditionnel tout en utilisant les moyens actuels. Comme le dit un article, « les conteurs béninois, en adaptant leurs récits aux nouveaux formats numériques tout en restant fidèles à leurs traditions, montrent que ces histoires anciennes ont encore beaucoup à offrir » (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). Le but n’est pas de trahir la tradition, mais de la faire évoluer pour qu’elle reste vivante et attrayante.

Il convient aussi de mentionner que le conte béninois s’exporte à l’international via ces nouvelles plateformes. Des conteurs vont représenter le Bénin dans des festivals de contes en Afrique, en Europe, au Canada… où ils racontent en français ou en anglais des histoires du cru. Cela contribue au rayonnement de la culture béninoise. On a vu ainsi en 2019 une troupe de six enfants conteurs béninois parcourir la France pour conter des histoires de leurs ancêtres (opération « La caravane des enfants conteurs du Bénin ») (La caravane des enfants conteurs du Bénin - artsixMic). Le public étranger découvre avec enchantement ces récits, et cela encourage la diaspora béninoise à réapprécier son patrimoine. Le conte devient alors un vecteur de soft power culturel pour le Bénin, promouvant ses valeurs et son imaginaire au-delà de ses frontières.

En somme, face à la modernité, le conte béninois a su faire preuve de résilience et d’adaptation. Plutôt que de disparaître, il s’est transformé : il s’est fait festival, spectacle, émission, vidéo YouTube, sans perdre son âme. Cette intégration dans les médias et événements contemporains montre que le conte reste pertinent. Mieux, il apparaît comme un rempart de diversité culturelle dans un monde uniformisé : alors que la globalisation tend à diffuser partout les mêmes contenus, le conte béninois, en retrouvant de la visibilité, offre une alternative enracinée dans le local, le spécifique (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). Il permet aux jeunes générations de « se reconnecter aux valeurs essentielles de la vie » propres à leur culture, tout en vivant avec leur temps (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). La modernité n’a donc pas tué le conte ; elle l’a poussé à se réinventer, et le conte béninois a brillamment relevé le défi.

X. Défis actuels pour la préservation du conte béninois face à la mondialisation

Malgré le renouveau et les efforts déployés, la préservation du conte béninois demeure confrontée à de sérieux défis dans le contexte de la mondialisation. Le monde moderne globalisé exerce des pressions uniformisatrices et des changements de modes de vie qui menacent la pratique même du conte et sa transmission naturelle. Voici quelques-uns de ces défis majeurs :

La concurrence des médias de masse et du numérique : L’omniprésence de la télévision, d’Internet, des réseaux sociaux et des jeux vidéo offre aux jeunes d’innombrables sources de divertissement immédiat, souvent au détriment des activités traditionnelles comme écouter des contes. Il est indéniable qu’un enfant aura plus facilement accès à un dessin animé occidental sur son smartphone qu’à un conteur sous l’arbre à palabres. L’« invasion des mass médias (Internet, radio, télévision…) » a été identifiée comme l’un des facteurs principaux de la désaffection pour la tradition orale (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Les imaginaires standardisés diffusés par ces médias (super-héros, cartoons, etc.) risquent de supplanter l’imaginaire local des contes. Le défi est donc de faire coexister les deux, en rendant le conte attractif (ce que tentent les adaptations modernes, comme vu précédemment). Mais cela demande des ressources et de la créativité constantes. De plus, la logique consumériste du numérique (consommation rapide de contenus, zapping) s’accorde mal avec le temps lent de la veillée de contes. Maintenir l’attention d’un public habitué à des stimuli visuels intenses est un challenge pour les conteurs.

L’érosion du vivier de conteurs traditionnels : Les vieux conteurs s’éteignent peu à peu, emportant avec eux des fragments de patrimoine oral. Or, la relève n’est pas toujours assurée de façon organique. Certes, on forme de nouveaux conteurs, mais ceux-ci sont souvent urbains, bilingues, et n’ont pas baigné dans la culture orale dès la naissance comme leurs aînés. Le risque est une perte d’authenticité ou de finesse dans la transmission de certains contes plus pointus (liés à des dialectes rares, à des coutumes très locales). Parfois, faute de pratique, un conteur plus jeune peut simplifier ou altérer un conte ancien. L’enjeu est de documenter le plus possible les versions originales auprès des derniers anciens pour éviter une folklorisation superficielle. Par ailleurs, la profession de conteur reste peu rémunératrice et peu reconnue () (), ce qui peut décourager des vocations. Beaucoup de conteurs d’aujourd’hui doivent exercer un autre métier pour vivre et ne peuvent se consacrer pleinement à l’art oral. Sans soutien institutionnel accru (subventions, intégration dans les circuits culturels payants), la pérennité du métier de conteur est en jeu, et donc la transmission.

La dévalorisation possible de l’oralité face à l’écrit et aux langues étrangères : Le système éducatif béninois, hérité de la colonisation, valorise essentiellement la langue française et l’écrit. De ce fait, tout le pan de la culture orale en langue locale a été longtemps relégué au second plan, vu comme “populaire” et non “savante”. Cette mentalité change doucement, mais il subsiste un certain complexe : des parents préfèrent parfois que l’enfant lise un livre moderne plutôt qu’il n’écoute des “histoires de vieilles personnes”. La pression de la modernité peut faire considérer les contes comme obsolètes ou infantiles, indignes de l’attention de la jeunesse ambitieuse. Il y a donc un travail de revalorisation symbolique à poursuivre. Par exemple, inclure l’étude des contes béninois dans les programmes scolaires de littérature aiderait à légitimer ce genre aux yeux de tous. De même, continuer à traduire et publier les contes dans des recueils bilingues donne ses lettres de noblesse à cette tradition (la figeant en patrimoine écrit partageable avec l’extérieur). La mondialisation pousse vers le français ou l’anglais ; défendre les contes, c’est aussi défendre les langues nationales du Bénin (fon, adja, yoruba, etc.) qui en sont le véhicule naturel. C’est un défi linguistique : préserver la richesse linguistique inhérente aux contes tout en les rendant accessibles via des langues de diffusion plus larges.

L’acculturation et la standardisation culturelle : La mondialisation amène un brassage culturel qui a du bon, mais qui peut aussi entraîner un désintérêt des jeunes Africains pour leurs propres traditions, au profit de modèles étrangers. Beaucoup de jeunes urbains adoptent un mode de vie occidental, écoutent de la musique américaine, regardent Netflix, etc. Cette extraversion peut créer un dualisme culturel chez eux, un écart entre leur héritage et leur vie quotidienne (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Revenir aux contes peut leur sembler un “retour en arrière”. Il y a là un défi d’identité : comment faire aimer aux jeunes ce qui fait partie de leurs racines, alors même qu’ils sont tournés vers le futur globalisé ? Certains sociologues parlent d’une crise de l’altérité où le jeune Africain peine à conjuguer identité africaine et modernité (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). Les contes peuvent aider à résoudre ce dualisme, mais seulement si on arrive à convaincre les nouvelles générations que ce patrimoine n’est pas incompatible avec la modernité, qu’au contraire il peut les enrichir. Autrement, le risque est un abandon progressif par simple désintérêt. La globalisation uniformise les contenus culturels mondiaux, et le conte béninois doit lutter pour se maintenir dans cette offre pléthorique.

Le manque de documentation exhaustive et de diffusion internationale : Bien que beaucoup de contes aient été collectés, il en reste probablement à recueillir, notamment dans des langues minoritaires ou auprès de griots isolés. Le temps presse pour archiver ce qui peut l’être. Un défi connexe est la diffusion au-delà des frontières : si le Bénin ne promeut pas activement ses contes à l’étranger, ils pourraient être noyés dans la masse des contes africains ou tout simplement ignorés. À l’inverse, promouvoir les contes béninois sur la scène internationale (via traductions, festivals mondiaux) peut aussi soutenir leur préservation en suscitant de la fierté et de l’intérêt local. La mondialisation peut servir la cause si les contes béninois trouvent leur place dans le patrimoine oral mondial reconnu par l’UNESCO par exemple. Quelques contes ou épopées d’autres pays ont obtenu ce statut, ce qui aide à les conserver. Le Bénin pourrait œuvrer pour que ses pratiques de conte soient inscrites au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, renforçant ainsi les efforts de sauvegarde.

La persistance de certains stéréotypes : Paradoxalement, la globalisation s’accompagne aussi parfois d’une vision figée de l’Afrique. Le conte africain est tantôt idéalisé, tantôt méconnu. Le défi est de ne pas folkloriser à outrance les contes pour plaire au “touriste culturel” (exemple : ne présenter que des contes d’animaux simplistes en pensant que c’est cela que le public attend, alors que les contes africains sont plus variés). Il faut préserver l’intégrité et la profondeur des contes dans la manière dont on les adapte ou exporte, sans les dénaturer pour correspondre à un moule commercial. C’est un équilibre à trouver entre accessibilité et authenticité.

En dépit de ces défis, de nombreux acteurs béninois – conteurs, associations, institutions – restent mobilisés pour la préservation du conte. Ils appellent à « retourner aux valeurs anciennes, aux principes anciens » tout en vivant avec leur temps (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !). La clé est sans doute dans le métissage culturel intelligent : profiter de la mondialisation pour enrichir et diffuser le conte (plutôt que de le voir comme une menace seulement), mais aussi garder vivantes les racines en continuant la transmission familiale quand c’est possible. Comme le concluait un journaliste culturel, « Il n’y a d’ailleurs pas de futur sans culture » (Conte : Quand les veillées éveillaient encore les âmes !) – autrement dit, le Bénin ne peut embrasser pleinement la mondialisation qu’en s’appuyant sur son identité culturelle, dont les contes sont un pilier. Préserver les contes face aux défis globaux, c’est s’assurer que la voix des ancêtres continuera de résonner dans le cœur des enfants du Bénin et du monde.

Conclusion Le conte au Bénin se révèle, à l’issue de cette étude, comme un élément fondamental du patrimoine immatériel et de la vie sociale du pays. De l’ombre de l’arbre à palabres aux lumières de la scène moderne, il a su traverser les époques en conservant son essence pédagogique, morale et identitaire. Nous avons vu comment, dans la culture béninoise, le conte est bien plus qu’une histoire pour divertir : c’est un moyen de façonner les âmes, de transmettre les valeurs éprouvées par les anciens, de réfléchir aux questions de la vie dans un langage imagé accessible à tous (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV). Les thèmes récurrents de ces récits – la ruse et la sagesse, la justice et la punition des vices, la gratitude et la solidarité – témoignent d’une philosophie pratique ancrée dans la conscience collective. À travers ses personnages – rois, génies, animaux parlants ou héros humbles – le conte béninois dresse un miroir de la société tout en invitant chacun à s’améliorer.

La tradition des veillées a longtemps assuré la pérennité de ces contes, faisant de chaque aïeul un pédagogue et de chaque enfant un élève attentif de la parole contée. Si ce modèle a été fragilisé par l’évolution des modes de vie, le Bénin a vu émerger en réponse de multiples initiatives de préservation : collectes écrites, festivals, formations, sans oublier l’investissement de la sphère éducative. Grâce à ces efforts concertés, on assiste aujourd’hui à un véritable renouveau du conte, qui trouve place dans les écoles, sur les ondes, sur les planches et en ligne. Les conteurs contemporains, héritiers des griots d’hier, redoublent de créativité pour marier l’ancestral et le moderne – intégrant marionnettes, musiques et technologies – montrant par là que la tradition orale n’est pas figée dans le passé, mais peut évoluer et séduire encore les jeunes générations (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV) (Bénin : les contes et légendes ancestraux adaptés aux nouveaux formats numériques - Africa24 TV).

Néanmoins, des défis importants subsistent. La mondialisation et la modernité exercent des pressions uniformisatrices, et il faudra poursuivre sans relâche la valorisation du conte pour qu’il ne cède pas face aux divertissements standardisés ou à l’oubli lié à la disparition des anciens. La préservation des contes béninois nécessite un engagement continu des familles, de l’école et de l’État. Cela passe par la documentation exhaustive des récits dans toutes les langues du pays, leur diffusion (y compris internationale), et l’éducation des jeunes à l’importance de ce patrimoine. Il s’agit aussi de soutenir les conteurs – ces gardiens de la tradition – en reconnaissant leur art et en le professionnalisant davantage, afin qu’ils puissent vivre de leur talent et le transmettre.

En conclusion, le conte au Bénin demeure un vecteur irremplaçable de culture et d’éducation, un liant social qui a su s’adapter sans se dénaturer. Sa survie et son épanouissement dans le monde contemporain dépendent de notre capacité à le célébrer, le renouveler et le transmettre avec passion. Comme le proclame l’adage, « Tant qu’il y aura des conteurs, il y aura de l’espoir ». Au Bénin, les conteurs d’hier et d’aujourd’hui nous montrent la voie : en puisant dans la sagesse d’hier pour éclairer le présent, ils font du conte un outil pour construire un avenir ancré dans l’identité et ouvert à la diversité du monde (Contes et légendes du Bénin). Puissions-nous continuer à écouter et à faire vivre ces contes, trésors fragiles mais ô combien précieux de l’âme béninoise.

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Statue du Guépard du Bénin