Dans un village reculé du royaume d'Abomey, vivait un vieil homme du nom de Kokouvi. Il n’était ni un roi, ni un guerrier, ni même un prêtre du vaudou. Pourtant, son nom était connu dans tout le Bénin.
Kokouvi était un alchimiste, un homme aux mille secrets, capable de transformer les plantes en remèdes, les pierres en talismans et surtout… de créer le sodabi le plus pur jamais distillé.
On disait que son sodabi n’avait pas d’égal : une seule goutte réveillait l’âme, guérissait les maladies et ouvrait l’esprit aux mystères du monde invisible. Mais Kokouvi gardait jalousement sa recette, et nul ne savait comment il produisait la Goutte d’Or Liquide, son breuvage légendaire.
Un jour, un riche marchand du nom de Dossa arriva au village. Il avait entendu parler du vieil alchimiste et voulait obtenir sa fameuse liqueur.
— "Vieil homme, je veux ton sodabi ! Je te paierai en or, en terres, en tout ce que tu désires."
Kokouvi leva les yeux, observa Dossa et secoua lentement la tête.
— "Mon sodabi ne s’achète pas avec l’or, mais avec le cœur."
Dossa, vexé, décida qu’il obtiendrait le secret de la Goutte d’Or Liquide par n’importe quel moyen.
Cette nuit-là, Dossa se glissa jusqu’à la case du vieil alchimiste. À la lueur de la lune, il aperçut une bouteille en cristal doré, posée sur un autel de bois sculpté.
— "C’est donc là son secret !" murmura-t-il en tendant la main.
Mais à peine eut-il saisi la bouteille qu’un vent glacé souffla à travers la case. Les torches vacillèrent et une voix profonde s’éleva du néant :
— "Celui qui vole sans comprendre devra affronter l’Épreuve des Trois Saveurs."
Dossa ne comprit pas, mais il s’enfuit avec son précieux butin.
Il courut jusqu’à sa demeure et, sans attendre, il ouvrit la bouteille et en but une longue gorgée.
Aussitôt, tout bascula.
Le sol se déroba sous lui. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il n’était plus chez lui, mais dans une plaine sans fin, où le ciel était teinté d’or liquide.
Un vieil homme aux cheveux blancs et aux yeux perçants apparut devant lui.
— "Dossa, tu as voulu voler ce que tu ne comprenais pas. Maintenant, tu devras prouver que tu es digne de goûter la Goutte d’Or Liquide."
— "Qui es-tu ?" balbutia Dossa.
— "Je suis le Gardien de l’Art du Sodabi. Et voici ton épreuve."
Il tendit une calebasse remplie d’un liquide doré.
— "Bois, et découvre la première saveur."
Dossa but et sentit un goût sucré, doux comme le miel.
— "Ceci est la douceur de la vie. Le sodabi est un cadeau des dieux, un réconfort dans les moments de joie. Mais ce n’est que la première vérité."
Une deuxième calebasse apparut.
— "Bois à nouveau."
Dossa avala le breuvage et cette fois, un goût amer envahit sa bouche.
— "Ceci est l’amertume des erreurs. Le sodabi peut être un poison si on le boit sans respect. Il a le pouvoir de soigner comme de détruire."
Dossa frissonna. Il commençait à comprendre.
Une dernière calebasse apparut devant lui.
— "Bois la dernière gorgée et découvre la vérité ultime."
Dossa but, et cette fois, le goût était brûlant comme le feu, mais apaisant comme une bénédiction.
— "Ceci est la puissance du sodabi, son essence véritable. Il est le lien entre les vivants et les ancêtres, un pont entre le visible et l’invisible."
Dossa ouvrit brusquement les yeux. Il était de retour chez lui, la bouteille d’or toujours posée devant lui, intacte.
Le matin, il retourna voir Kokouvi et, cette fois, il s’agenouilla devant lui.
— "Pardonne-moi, vieil homme. Je comprends maintenant que ton sodabi n’est pas qu’une boisson, mais un héritage sacré."
Kokouvi sourit.
— "Tu as appris la leçon que seuls les sages comprennent. Le sodabi ne s’achète pas, il se mérite. Es-tu prêt à apprendre ?"
Dossa hocha la tête avec humilité.
Dès ce jour, il devint l’élève du vieil alchimiste, et après des années d’apprentissage, il comprit enfin le secret de la Goutte d’Or Liquide.
Mais jamais, même à sa mort, il ne révéla sa recette.
Car il savait que ce n’était pas le sodabi lui-même qui était magique, mais le respect qu’on lui portait.
Et ainsi, la liqueur dorée du Bénin resta un mystère connu seulement de ceux qui avaient l’âme pure et le cœur humble.
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