Il y a bien longtemps, dans un petit village du sud du Bénin nommé Tohoun, vivait un homme nommé Dossa. Dossa était un bon cultivateur, mais il avait un grand défaut : il aimait le sodabi plus que tout.
Chaque jour après le travail, il s’installait sous le grand manguier de la place du marché et buvait sans modération. Il disait à qui voulait l’entendre :
— "Le sodabi est la seule vraie richesse de l’homme. Il chasse les soucis, réchauffe l’âme et ouvre les portes du monde invisible !"
Les anciens du village l’avaient pourtant mis en garde :
— "Dossa, bois avec sagesse ! L’ivresse mène parfois sur le chemin des esprits, et tous ne sont pas bienveillants."
Mais Dossa riait et continuait à boire sans retenue.
Un soir de pleine lune, une grande fête était organisée en l’honneur de Sakpata, le dieu de la terre et de la prospérité. Les villageois chantaient, dansaient et partageaient du sodabi en l’honneur des divinités.
Dossa, comme à son habitude, but plus que tous les autres. Il vida calebasse après calebasse, sans jamais refuser une goutte. Ses amis l’avertirent :
— "Assez, Dossa ! Ce soir est une nuit sacrée. Ne provoque pas les esprits."
Mais Dossa, ivre et arrogant, se mit à danser seul au milieu de la place.
— "Je suis plus fort que les esprits ! Je peux boire tout le sodabi du village et leur tenir tête !" cria-t-il.
Un silence étrange s’installa. Même les tambours semblèrent hésiter. Une brise froide souffla sur la place.
Un vieil homme inconnu s’approcha de Dossa. Son regard était profond, son sourire énigmatique.
— "Si tu es si fort, Dossa, alors bois cette dernière coupe. Mais sois prêt à en assumer les conséquences."
Sans réfléchir, Dossa attrapa la coupe que l’homme lui tendait et la vida d’un trait. Aussitôt, sa tête tourna violemment et il s’écroula sur le sol.
Quand Dossa ouvrit les yeux, il n’était plus dans son village. Il se trouvait au cœur d’une immense forêt aux arbres gigantesques. La lune brillait d’une lumière rouge inquiétante.
Il entendit un rire grave résonner derrière lui. Il se retourna et vit le vieil homme. Mais cette fois, son visage avait changé : il avait des yeux lumineux et sa peau semblait scintiller comme celle d’un serpent.
— "Dossa, tu as trop bu. Maintenant, tu appartiens aux esprits."
Dossa voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses jambes étaient lourdes, comme attachées au sol. Des ombres apparurent autour de lui, murmurant d’une voix sifflante :
— "Celui qui défie les esprits ne revient jamais parmi les siens."
Dossa comprit alors qu’il avait franchi une limite interdite. Il s’agenouilla et pleura :
— "Esprits, pardonnez-moi ! Rendez-moi à ma famille, à mon village !"
Le vieil homme s’approcha et dit d’une voix profonde :
— "Une seule épreuve peut te libérer : tu dois traverser le marécage du jugement et trouver la calebasse d’eau pure. Mais attention, Dossa, car si tu échoues, tu resteras ici pour l’éternité."
Devant lui, un grand marécage apparut, rempli de lianes et de créatures étranges. Dossa prit une grande respiration et avança prudemment.
À chaque pas, le sol s’enfonçait sous ses pieds. Des mains invisibles semblaient vouloir l’attirer vers le fond. Il entendait des voix moqueuses :
— "Retourne d’où tu viens, ivrogne !"
Mais Dossa serra les dents et continua d’avancer. Après ce qui sembla une éternité, il aperçut une calebasse flottant sur l’eau. Il plongea ses mains pour l’attraper… et soudain, le marécage disparut.
Il se retrouva à genoux devant le vieil homme, la calebasse entre les mains.
— "Tu as prouvé ta valeur, Dossa. Les esprits acceptent de te libérer, mais souviens-toi : la vie est précieuse, et l’ivresse est un piège."
Dossa ferma les yeux…
Quand il les rouvrit, il était allongé sous le manguier du village. Le soleil venait de se lever et les villageois le regardaient avec inquiétude.
— "Dossa ! Nous t’avons cru perdu ! Tu étais inconscient toute la nuit."
Dossa se redressa lentement. Il se souvenait de tout. Il posa la main sur sa poitrine et murmura :
— "Les esprits m’ont donné une seconde chance."
Dès ce jour, il ne toucha plus jamais au sodabi avec excès. Il devint un homme sage, conseillant les jeunes du village :
— "Buvez avec respect. L’ivresse ne mène qu’à la perte. Apprenez à écouter les anciens et à honorer les esprits."
Le village de Tohoun se souvint longtemps de son histoire, et même aujourd’hui, lorsque quelqu’un boit trop de sodabi, les anciens disent :
— "Prends garde, ou tu finiras comme Dossa, perdu entre deux mondes."
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